mercredi 4 novembre 2009

0-J’voulais pas y aller

Je n’aurais jamais cru que je me retrouverais de nouveau devant ce portail. La veille encore je ne pensais pas me retrouver ailleurs que chez moi. Et sûrement pas ici

Il s’est levé ce matin quand je l’ai appelé. C’est déjà ça. J’avais tellement peur qu’il ne veuille pas y aller, qu’il trouve n’importe quelle excuse pour annuler. Je dois être plus tendue que lui. Je suis toujours angoissée pour mes enfants, je l’aurais été pour n’importe quel entretien d’embauche. Je le suis spécialement pour lui aujourd’hui, après tout ce que son père et moi on a vécu, qu’il a vécu mon pauvre chéri. Je n’ose pas y penser, encore moins lui en parler, mais il nous a fait très peur. Enfin, tout va bien, disons tout va mieux. Il a pris une douche, s’est rasé, ça fait drôle de le voir sans barbe, et en même temps ça fait peur de retrouver son visage amaigri, triste, vieilli. Il a mis autre chose que son vieux tee-shirt et sa robe de chambre. Il est propre, net. Bien sûr ce n’est pas encore la grande forme. Il marche en traînant les pieds, on dirait qu’il porte tout le malheur du monde sur ses épaules. Comme quand tu étais gamin et que je te raccompagnais à l’internat le mercredi soir. Comme quoi les choses ne changent pas vraiment avec le temps qui passe

En dix ans les choses avaient changé et l’entrée du collège s’était déplacée de quelques mètres le portail devant lequel je me trouvais n’étais plus celui auquel je m’accrochais pour ne pas avoir à retourner à l’internat. Je ne m’accrocherais pas aux grilles, je n’ai plus 11 ans, j’ai grandi et mûri, mais ce n’est pas de bon cœur que je passe de nouveau ce portail.

Tu venais te cacher dans ma chambre le lundi matin. Quand ce n’était pas dans un placard, sous ton lit, dans je ne sais quel autre endroit encore. Je crois que tu as tout fait pour ne pas avoir à partir. Tu montais sur mon armoire, tu me faisais signe de ne rien dire. Je ne disais rien, mais ce n’était pas une bonne cachette les parents te trouvaient facilement. Tu descendais la mine triste et tu les suivais vers ce qui semblait être un enfer. C’est plus tard que j’ai compris. Quand à mon tour je suis entré en sixième là bas. Je n’allais pas me cacher sous ton lit, on m’aurait vite trouvé puisqu’on partait ensemble, mais je venais te voir à la récréation, dans ta classe, je crois que tu étais en seconde, non en première. J’avais cet avantage par rapport à toi d’avoir un grand frère déjà là. Je pleurais, je te disais que je ne voulais pas rester. Toi tu tentais de me consoler, de m’expliquer que tout ça s’était pour mon bien. Tu répétais ce qu’on t’avait dit des années avant. Je ne comprenais pas comment ça pouvait être pour mon bien de m’arracher au paradis pour m’envoyer en enfer.

Si certains à dix-huit ans quittent leur province, moi à onze ans j’ai quitté ma campagne. Toute ma jeunesse s’est passée dans le cadre idéal d’une petite ville de campagne, entre océan et forêt. Tout mon univers se trouvait là, c’est normal j’étais plus petit et je n’avais pas besoin d’un monde plus grand pour m’épanouir. Je ne souhaite pas enjoliver mon village natal, le transformer en image d’Épinal, il me faut reconnaître que c’était un paradis pour les enfants que nous étions mes amis et moi. Nous pouvions aller à l’école sans crainte, une école accueillante tout en briques rouges, avec une large cour de récréation, plantée de platanes pour jouer aux quatre coins, une marelle peinte sur le sol, des espaces pour les billes, un terrain pour le foot, et en rentrant de cette école quand les beaux jours étaient là, nous pouvions jouer au foot dans les grands jardins que nous avions tous autour de nos maisons, refaire la guerre pour de faux en nous cachant dans les fossés, des parties de cache-cache géantes dans les bois, avant de nous retrouver pour partager nos goûter dans nos cabanes. L’été venu, la mer nous tendait les bras. N’est-ce pas une image proche de celle du paradis? Voilà tout ce que j’ai quitté lorsque je suis rentré au collège dans la grande ville.
Fini les murs de briques, et l’école de taille humaine. J’avais devant, m’écrasant de tout leur poids, de grands bâtiments gris béton de quatre étages, de longs couloirs où il était évident de se perdre, une absence quasi totale de verdure, une immense cour bitumée, un lieu impersonnel où je n’étais plus rien, un élève parmi 2000 autres, perdu, abandonné, effrayé.

On arrivait souvent en même temps le lundi matin. Je te voyais dans la voiture de ton père attendant le dernier moment pour rentrer. Tu espérais sans doute qu’un miracle se passe et qu’il décide de faire demi-tour, qu’il te ramène chez toi. Et puis vous sortiez, il prenait ton sac d’interne, tu attrapais ton cartable et vous remontiez le trottoir. Le plus lentement possible, mesurant chaque pas. Quelques fois, je t’ai vu t’accrocher aux grilles. Pas souvent avec ton père. Tu as dû le faire au début, mais après qu’il t’a dit que ce n’était pas possible, qu’il n’accepterait pas ça, tu as arrêté de le faire. Je t’ai vu le faire avec ta mère, le mercredi. Mais c’est autre chose. Enfin, vous vous disiez au revoir sur le pas de la salle d’étude. Tu le regardais partir, attendant qu’il se retourne et qu’il te voie pleurer. Alors, pris de remords il t’aurait pris par la main et t’aurait enlevé à cette prison. Une fois qu’il avait passé le portail, tu retournais dans la cour. Pleurant toujours. Si tu savais comme moi aussi j’avais envie de pleurer, de m’accrocher aux grilles.

Tout ce que je vivais n’avait rien de bien original. Nous étions nombreux à le vivre. Je devenais interne, fini la chambre douillette, bonjour le dortoir de 30 lits alignés sur deux rangées, fini la cuisine de maman, bonjour la cantine matin, midi et soir, fini l’intimité, bonjour les études, les soirées télé à 50. Bienvenue dans mon pire cauchemar.

Presque dix ans après mon départ, je revenais donc pour la première fois dans mon ancien lycée. J’avais quelque temps auparavant, au milieu du mois d’août pour être précis, envoyé une lettre me proposant pour être surveillant. Poussé par mes parents qui ne supportaient plus de me voir passer mes journées assis sur le canapé, mangeant des chips en regardant la télé. Ils voulaient me forcer à sortir de mon apathie successive à ma dépression. Je voulais leur faire plaisir, alors j’ai envoyé cette lettre, en y mettant encore moins de fond que de forme. Pensant, espérant qu’il n’en sortirait rien, et que je pourrais encore quelque temps traîner ma carcasse du lit au canapé, et du canapé au lit avant d’avoir à me prendre en main sérieusement.
C’est donc avec une immense surprise, et une petite déception, que j’ai reçu un coup de téléphone un vendredi dans l’après-midi. Malgré le manque de motivation dont je faisais preuve dans mon courrier, il avait retenu l’attention de la C.P.E. du collège. Elle m’appelait pour me proposer un entretien. Rendez-vous fut pris pour le lundi suivant. Et nous y étions. J’y étais. Elle s’avance vers moi. Pas moyen de reculer maintenant.

Tu me tends timidement la main. Tu n’as pas changé. Bien sûr tu as vieilli, tu as grandi. C’est normal, c’est notre lot commun. Mais tu restes toujours aussi timide. Quand tu étais élève, tu rasais les murs, tu regardais par terre pour ne pas croiser le regard des autres. Persuadé que si tu ne voyais personne, personne ne te verrait et que tu pourrais être tranquille dans ton coin, sans avoir de compte à rendre à personne. Tu étais tout surpris quand quelqu’un t’adressait la parole, et qu’en plus il connaissait ton nom. Tu n’as pas changé, tu parais surpris que je me souvienne de toi. Eh oui tu n’as pas réussi à passer toute ta scolarité ici sans te faire remarquer. Je te fais entrer dans le bureau pour l’entretien. Je t’indique un fauteuil et tu vas t’y réfugier comme si ta vie en dépendait. Tu t'assois bien au fond, croisant tes bras devant toi pour te protéger. Tu ne lèves pas trop les yeux pour ne pas croiser les miens. Tu réponds par monosyllabes à mes questions, tu restes évasif, tu cherches à t’évader de ce piège. Chaque minute qui passe est un calvaire. Tu t’enfonces de plus en plus dans le fauteuil. Si ça dure trop longtemps tu risques de disparaître. Ça pourrait presque être drôle. Non le plus drôle de tout c’est ta tête quand je te dis que...

Après 15 minutes d’un semblant d’entretien, je suis sur le cul. Comment est-ce possible? J’ai pourtant tout fait depuis le début pour que ça se finisse autrement. Où ai-je fait une erreur? Qu’est ce que j’ai fait pour mériter ça?

Il est revenu encore plus défait que lorsqu’il est parti. Avec cette tête d’enterrement qui me retourne les sangs à chaque fois que je le vois. Une mère ne devrait pas avoir à vivre ça. Je m’allume une nouvelle cigarette. Ça n’a pas duré plus d’un quart d’heure et j’ai pourtant vidé mon paquet. Je vais devoir encore le voir traîner dans la maison pendant des mois. Parce qu’il ne va pas se relancer de sitôt. Il monte dans la voiture. Je ne veux pas me jeter sur lui, mais c’est plus fort que moi, il faut que je sache. Alors?

1-Comme Un Boomerang

A cette heure ci tu dois avoir commencé. J’ai résisté à l’envie de t’appeler pour que tu n’oublie pas l’heure. Tu m’aurais envoyé sur les roses. Je t’imaginais très bien lever les yeux au ciel en me répondant au téléphone. Je te connais bien depuis le temps. Une mère ça sait tout sur ses enfants. Elle s’inquiète pour un rien. Alors imagine dans quel état je suis en te voyant repartir loin de la maison. Après ce qui s’est passé il n’y a pas un an ça me fais drôle de te savoir seul dans ton appartement. Enfin il faut que j’accepte que tu vive ta vie.

Le manque de sommeil renforçait sans doute l’angoisse qui me serrait les tripes quand je passais la porte du B.O.S. (pour les non initié cela signifie Bureau d’Organistation et de Surveillance). J’avais raison d’avoir peur. La première partie de ma formation m’a submergée sous tout une série d’explication des procédures administratives, il y avait tant de choses à savoir, tant de choses à maîtriser, des papiers à remplir pour ceci, pour cela, des procédures à conduire en cas d’absence des élèves, des procédures à effectuer pour avoir ceci, ou cela. En l’espace de quelques heures j’ai eu tant d’informations à intégrer que j’ai senti que mon crâne allait exploser sous la pression. La formation du nouveau surveillant ne se limite pas à des leçons théoriques, le travail doit se passer sur le terrain, la formation se fait par la pratique et sur le tas.

Tu n’es pas arrivé en retard, c’est déjà un bon point pour toi. Juste à l’heure, tu as jeté un coup d’oeil à ta montre en passant la porte. Tu semblais essoufflé. Comme si tu avais couru pour arriver à l’heure. Je t’ai bombardé d’informations en l’espace de quelques minutes. Ça coulait tout seul. Je l’avais déjà fais deux fois en l’espace de quelques jours avant que ce soit ton tour. J’étais rodée. Et un peu angoissée de n’être entourée que ne nouvelle tête. Pour me rassurer tu avais l’air un petit peu paumé. Je suis indulgente tu étais complètement paumée, en roue libre. Je me suis demandé si tu allais tenir le coup.

Je premier choc, physique, se produisit lors du déjeuner. Si en temps normal les élèves sont très agités, turbulent, au moment du déjeuner ils deviennent féroces, incontrôlables, des bêtes sauvages affamés. Le but pour le surveillant à ce moment là est de les contenir pour qu’ils ne dévastent pas le self en se jetant tous en même temps sur la nourriture dont on pourrait pensé en les voyant qu’ils n’en ont pas vu depuis des mois. Le surveillant peu préparé que j’étais a donc vu arrivé en bloc, en masse tous les élèves de 6° et de 5°, courant vers lui, près à l’écraser pour manger. Et je dois dire que j’ai eu très peur. Par chance, par magie aussi peut être, ils se sont arrêté juste avant de me piétiner. Le plus dur n’était pas pour autant passé. Il fallait maintenant arrivé à faire repartir ceux qui ne devaient pas passer à cette heure là, canaliser le troupeau, lui faire prendre une forme plus humaine, plus civilisée, en bref devenir Cow-Boy et conduire un troupeau sans encombre jusqu’au vert pâturages en veillant bien a ce que les plus fort n’écrasent pas les plus faibles. Je sortis épuisé de l’épreuve. Ce qui allait venir finirait de m’achever.

A peine as tu franchit le seuil de la classe que l’on a su que ça allait être grandiose. On voyait bien que tu aurais préféré être n’importe où plutôt qu’ici. Tu avançais à reculons. Je sais que ce n’est pas possible. Mais c’est l’impression que tu donnais. L’exemple vivant d’un paradoxe physique. Enfin vivant c’est beaucoup dire. Tu semblais plus mort que vif. Mort de peur. Tu n’avais pas un brin de présence dans le classe. Tu avais beau hurler pour obtenir le silence personne ne t’écoutait, ni ne t’entendait. Tu n’aurais pas été là je ne sais pas si ça aurait changé grand chose. La classe était livrée à elle même dans une belle anarchie au milieu de laquelle tu te débattais en vain. A un moment j’ai cru que tu allais te mettre à pleurer et quitter la salle en claquant la porte. Bizarrement tu es resté jusqu’au bout de l’heure. Tu t’es assis dans un coin et tu as simplement attendu que ça se passe. Nous avons continué quelques temps à faire la foire et puis on s’est tous tourné vers toi. Tu ne disais rien. On avait gagné la partie.

Je sortais de cette salle de classe sonné. Je n’ai jamais pratiqué la boxe mais je pouvais imaginé que je n’étais pas loin d’avoir reçu l’équivalent d’un uppercut. Presque K.O. debout. J’ai été compté par l’arbitre. Le gong à retenti avant qu’il n’arrive au bout et ne me déclare out. Je n’arrive toujours à comprendre comment j’ai tenu jusqu’à la fin de cette première heure d’étude.
En tant qu’élève, sans vouloir me jeter des fleurs, je n’ai jamais eu trop affaire avec les surveillants pour les questions de discipline. Les surveillants étaient là, point, je ne leur parlait pas plus que nécessaire, et pendant longtemps j’ai pensé qu’ils ne savaient pas qui j’étais, ce qui était une erreur bien entendu. Mais même si je n’étais pas invisible il ne reste de mon passage entre les murs de Tivoli qu’un “casier judiciaire” vierge. Peut être est-ce pour cela que j’étais optimiste quand au comportement des élèves. La découverte de mon erreur fut un choc terrible.

J’en ai vu passer des surveillant. Toi j’aurais parié que tu ne resterais pas. Tout dans ton attitude me le laissait croire. Trop timide, trop en dedans. Le regard fuyant, la voix hésitante, rasant les murs, t’effaçant devant les élèves. Le genre à se faire bouffer immédiatement. Du pain béni pour les fauteurs de troubles. Tu étais trop fragile pour rester. Ils allaient te briser en moins de deux.
J’ai vraiment cru qu’après ta première journée tu renoncerais. Ce premier soir tu étais anéantis. Tu t’es effondré sur une chaise à la fin de la journée. Tu avais tout le poids du monde sur les épaules. Tout le poids du collège tout au moins. Tu étais à deux doigts d’exploser en plein vol. Je ne pensais pas te voir le lendemain. Si tu m’avais lâché je ne crois pas que je t’en aurais voulu, pas beaucoup en tout cas. A l’impossible nul n’est tenu.

2-Allways something to remind me

Je ne sais pas pourquoi je suis retourné bosser le lendemain: Tendace suicidaire, conscience professionelle, peur de me faire écharper par ma mère, folie passagère, ou alors nostalgie. En réalité je le sais très bien. Il s’était passé exactement ce dont j’avais besoin. Un bon coup de pied dans le cul. Le choc fut rude mais salutaire. Pour la première fois depuis longtemps je m’étais senti vivant. J’avais mal bien sur mais n’estc epas la preuve irréfutable que l’on n’est pas mort. Je ne pouvais pas rester chez moi comme avant alors que ce que cherchais était à portée de main, sur les lieux même de mon adolescence.
Je ne pouvais pas aller travailler à Tivoli comme je serais aller travailler ailleurs. Bien sur en dix ans les choses changent, tout comme les gens mais j’avais une histoire intime avec cet endroit, il était investi des souvenirs de huit ans de ma vie. Chaque pas me conduisait vers des souvenirs. Chaque coin me ramenait en arrière.

Je t’ai fais faire un tour des batiments. C’est ce que je faisais avec tous les nouveaux surveillants. Un premier contact avec les leiux pour ne pas lqu’après ils se perdent dans les couloirs labirynthiques sans aucun point de repère. Je n’avais pas pensé que tu connaissais déjà les couloirs. Tu y avait trainé pendant huit ans. Même avec les modifications, les nouveaux locaus tu étais parfaitemetn à l’aise. Si tu semblais perdu sous la tonne de procédure administratives et au milieu des élèves, dans les couloirs de ta jeunesse tu étais comme un poisson dans l’eau.

Ce qui me fit le plus d’effet ce fut “l’Allée Interdite”. Au fond de la cour, derière une rangée d’arbre et de buissons, une petit chemin de terre à l’abris des regards, lieu idéal pour perpettrer des actes réprehensibles, et recevoir son premier baiser dans mon cas, et celui de nombreux autres élèves j’en suis sur.
Elle s’appelait Sophie, et doit toujours porter se prénom même si je ne l’ai aps revue depuis mon départ du lycée. Sans doute est elle mariée, a des enfants, et il se peut que je la recroise un jour quand elle viendra chercher ses enfants à la sortie de l’école, je ne la reconnaitrais pas immédiatement, mais en voyant ses yeux me remonteront en mémoire une foule de souvenir.
En attendant de la retrouver evnetuellement ce petit bout de nature, ce chemin de terre avaient les effets mnémoique attendu. Les images me revenaient aussi clires qu’un film. Je me souvenais parfaitement de l’endroit où au milieu des branches d’un buisson j’ai pour la première fois embrassé une fille. Je revenais en pélérinage sur les traces des mes amours anciennes.

Pourquoi tu ne retournes pas tout en haut. Dans le couloir de nos classes de lycée. Tu as visité toutes tes anciennes classes. Celles de 6° et 5° qui sont encore en l’état et les autres, celles de 4° et 3°, même si depuis elles se sont transformée en autre chose. Pourquoi tu refuse d’aller dans les autres? As tu peur? Je te rassure ça fait longtemps déjà que les traces de notre passage ont disparu. Une bonne couche de peinture et il n’y parrait plus. Dix ans sont passés. que veux tu qu’il reste? Des échos de nos voix, de nos rires? Tu rêves. Ce ne sont que des salles qui ont vu passer des centaines de lycéens depuis. Et ils n’ont pas laissé plus de trace que nous. Tu trouve plus agréable de te remémorer tes baiser échangés avec Sophie sur les lieux du crime que de revenir sur les pas de notre amitié. Ça me fait plaisir de l’apprendre. Allez vas y, il n’y a rien qui fasse peur. Juste des bons souvenirs. Ceux de nos jeunes années. Les bons moments d’avant la merde, la saloperie, la mort. Tu ne veux pas t’en souvenir. Tu ne veux pas honorer la mémoire de ton pote. S’il n’y avait que moi pourquoi pas mais Diane va finir par être jalouse de Sophie. Tu n’y a pas pensé à ça. Il n’y a pas pire qu’une femme jalouse. Allez vas y tu en meurs d’envie. Si tu veux je te tiendrais la main.

Combien de temps peut on vivre dans les souvenirs? Certains diront qu’il n’y a que ça qui existe. Le futur n’est que potentiel. Le présent est éphémère. Tout ce que nous avons c’est la passé. Mais à trop regarder en arrière on fini par se prendre le mur. Ou comme je l’avias fait oublier de vivre le présnet. C’était bie nbeau cette petite exploration des années perdues. CE retour sur les lieux du crime. Retrouver les souvenirs d’adolescence, les echos de mes amis, mes amours, mes emmerdes comme dirait l’autre mais il va falloir que je lèveles yeux sur ceux qui sont en train de se fabriquer leurs souvenirs de jeunesse. C’est un peu pourquoi je suis ici. Il faut que je regarde devant moi et pas seulement les traces d’hier comme mon nom gravé dans la pierre juste derrière moi.

On lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Un parfait élèves qui ne fait pas de vague. Discret et gentil. Je t’en foutrais de ce beau portrait. S’il ne se faisiat pas prendre c’est uniquement parcequ’il était suffisament malin pour ne pas participer directement aux trucs trop risqués, ceux qu’il avait contribué à mettre au point. Une eminence grise qui restait dans l’ombre. Pas con le gars.Bien sur il n’était pas dans la bande qui a transporté la voiture du directeur d’internat sur le perron. Mais qui a lancé l’idée, comme ça, en passant, sans l’air d’y toucher. Et quand les terminales ont descendus leurs lits sur la cour pendant la nuit qui était le premier à la fenetre pour voir le resultat et la tête de ceux qui découvrait cet étrange spectacle? Celui qui avait juste suggéré la possibilité evnetuelle d’une telle action.
La seule fois où il a fait parti du groue d’action ce fut à la veille de notre départ avant le bac. Il ne risquait plus rien. Alors pourquoi pas. Pendant la nuit nous avons retiré toutes les poignées de porte des classes de lycée. Encore une de ses idées. Tres drôle en plus. Avant de remonter dans la chambre il nous a fait passer par le perron pour qu’on grave nos noms dans les briques qui entourent la porte d’entrée. Je crois que je ne l’ai jamais vu ému comme ça.

Mon nom gravé dans la brique au milieu de tant d’autres ex-tivolien, voilà la seule trace physique qu’il restait de mon passage. Ce n’était pas grand chose. Ça me suffisait. Nom, prénom, deux dates. La pierre tombale de mon adolescence. Juste en dessous un autre nom, les mêmes dates. La seule pierre tombale que j’ai pour lui.

I Tous des anges

Aux vacances de Toussaint la France migre vers les cimetières pour aller fleurir les tombes des disparus qui leurs sont cher. Avec un manque d’originalité et de précision. Ils déposent tous des chrysanthèmes, fleur horrible, le 1° novembre alors que le vrai jour des morts est le lendemain. Mais on ne peut pas demander à un troupeau de réfléchir.
Allergique à la foule et aux célébrations obligatoires j’évite d’aller visiter mes disparus ce jour là. J’y vais quand j’en éprouve le besoin. Il fut une époque où ce besoin était fréquent. Moins à présent. J’ai deux tombes particulières en mon coeur, deux cimetières où je me sens bien.
De ces deux lieux de repos éternel ma préférence va à celui où se trouve mon grand père maternel. Il est à l’écart, seul ceux qui le connaissent peuvent le trouver. Perdu au bout d’une rue qui ressemble plus à un chemin. entouré par la foret. On s’y sent à l’abris du monde. Quand j’y allais je portais juste une rose. Je la déposais sur la tombe et m’asseyais par terre devant le caveau. Je parlais à celui qui reposait sous la dalle de granit noir. Comme s’il était toujours là. Comme si ce jour de printemps n’avait jamais existé.
Il faisait beau. Normal pour un 1° mai. C’était un long pont. J’avais passé la soirée de la veille avec mes cousins chez ma grand mère. Nous avions joué au tarot jusque tard dans la nuit, nous avions rigolé, nous étions bien.
Ce matin là était magnifique. Un parfait matin de printemps, l’air était frais et léger, les oiseaux chantaient. Un parfait cliché. C’était la tête encore pleine des rires de la veille que j’ai rejoins ma maison. Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre. Ma mère n’étais pas là. Seul mon père se trouvait dans la maison. Il était derrière son bureau. Il lisait son journal, la mine triste. Il m’a dit bonjour et ces quelques mots: “Papy est mort cette nuit.”
Je n’ai rien dit. J’ai posé le brin de muguet que j’avais cueilli dans le jardin de ma ante. J’ai traversé les couloirs. Puis je me suis enfermé dans les toilettes pour y pleurer toutes les larmes de mon corps en me tapant la tête contre les murs pour y faire rentrer cette nouvelle.
Je ne saurais dire combien de temps je suis resté enfermé. Je ne saurais dire ce qui c’est exactement passé le reste de la matinée. Elle s’est juste passée. Je n’en garde pas d’autres souvenirs. Le midi j’ai rejoint mes cousins et ma mère pour déjeuner. A partir de là tout devient plus clair. Les pleurs à nouveau, en famille cette fois ci. Il y a eu les obsèques, la fin du week end, et enfin le retour à Tivoli.
Là il a fallut que j’explique le pourquoi de mon absence à mes profs, à mes camarades, et à chaque fois entendre leurs mots de condoléances qui à chaque fois sonnaient faux et creux. Puis comme on dit la vie a repris son cour normal.

Mon second grand père repose ailleurs. Un cimetière à l’entrée du village. En bordure de la route principale. Il est moins calme, plus fréquenté aussi; Jamais je ne m’y suis assis par terre. Ça aurait défrisé les honorables vieilles dames qui hantent les allées. en repérage sans doute. Je reste debout. En silence. En essayant de faire abstraction du bruit de la route. Quand j’y arrive me reviennent des images.
J’étais à Tivoli quand mon grand père paternel est mort à son tour six mois après. C’était entre mid et deux, lorsque je suis allé manger. Au bout de la queue pour accéder au réfectoire j’ai été retenu par le surveillant chargé de contrôler le passage. Je ne sais plus s’il m’a remis un petit mot ou s’il me l’a dit de vive voix. Les mots n’étaient pas aussi familier que ceux que m’avaient dit mon père. Cela devait être plus proche de: “Ton grand père est décédé”. Je me souviens très bien qu’il a ajouté que je devais avertir mon frère.
J’ai rejoint mes camarades dans la file du self. Ils m’ont demandés ce qui se passait. Je leur ai dit. Ils ont repris la litanie des condoléances. Puis nous sommes allés nous asseoir dans cette salle de réfectoire immense qui devait bien contenir cinq cent personnes. Difficile de se laisser aller à son chagrin dans un tel environnement. Difficile de se laisser aller à son chagrin par la suite également. Il fallait que je retrouve mon frère, lui annonce la triste nouvelle. Il fallait que je retourne dans ma chambre à l’internat pour y préparer mes affaires pour les cours de l'après midi, ainsi que ma valise pour partir le soir. Il fallait que je demande à un copain de s’occuper de prendre mes cours pendant mon absence. Il fallait que je suive les cours, que je réalise les expériences du TP de physique sans faire exploser le labo. Il fallait que je fasse tant de chose que je n’ai pas eu le temps de verser une seule larme.
Je n’ai pas pleurer non plus en rentrant chez moi et en retrouvant mes parents. Voir mon père aussi anéanti que je n’ai pas voulu rajouter du chagrin à son chagrin. Les vannes ne se sont ouvertes que le soir dans mon lit, rattrapant tout le temps perdu pendant la journée.

Il me manque une tombe. Un endroit sur lequel aller déposer des fleurs. Une stèle de marbre pour me recueillir. Je n’ai qu’un coin de plage. Mais les vagues ont depuis longtemps effacer les traces que je cherche.

3 - J’me suis fais tout petit

Les années passent, les lieux changent et restent les mêmes, les gens changent et restent les mêmes aussi. Je n’étais parti que pendant dix ans. Pourtant j’avais l’impression d’être parti toute une vie. A mon age c’est encore ce que Ça representait. Plus d’un tiers de ma vie, tant de choses vécues. Que les couloirs restent les mêmes que ceux que j’avais connu ne me choquait pas plus que ça, les pierres bouent moins que les hommes, mais retrouver la plus part des visages que j’avais croisé du temps de ma scolarité c’était plus étrange. Bien sur je ne trouvais pas exactement les mêmes têtes. Tout comme j’avais vieillis ils accusaient plus ou moins le passage des années. Un coin de couloir peut eveiller des souvenirs, une voix les fait surgir encore plus facilement.

La première fois j’ai eu un doute. J’en ai vu passé des visages, des élèves tout au long de ma carrière. Alors quand je le croisais dans les couloirs je ne savais pas si c’était vraiment lui, d’autant plus qu’il marchait en baissant la tête. Ça aurait du être un indice, il faisait déjà ça quand il était plus jeune. J’ai eu la confirmation quand il est entré dans la classe pour venir chercher un billet d’absence. A cet instant je me suis retrouvé devant le gamin de 11, 12 ans que j’avais eu en classe de 6° et de 5°. Il s’est approché du bureau timidement, la tête rentrée dans les épaules, regardant le bout de ses chaussures, il a demandé d’une petite voix le billet. Je lui ai tendu; il m’a dit merci du bout des lèvres et s’est enfui de la classe. Je n’ai pas pu m’empecher de sourire. Je me suis tourné vers mes élèves et je leur ai dit que le surveillant qui venait de passer avait été un de mes élèves. Je ne sais pas pourquoi j’ai fais ça. Sans doute ça me faisias plaisir de le revoir. En quelque sorte ça me rajeunissait de le voir se comporter avec moi comme quand il était petit.

J’ai trente ans, ou presque. Je suis grand, j’ai eu mon bac, j’ai des diplomes universitaires, je ne devrais pas me conduire ainsi purtant je ne peux pas croiser mes anciens professeurs sans me retrouver quinze ans en arrière, quand j’étais un petit garçon arrivant de sa campagne, perdu, et no’sant pas regarder ses profs dans les yeux. Ils m’impressionnent encore. Surtout ceux que j’ai eu les premières années. Pourtant je ne devrais pas, ils n’ont jamais été méchant, bien au contraire, ils étaient tous, je devrait dire toutes puisque je ne me souviens pas d’avoir eu de professeur homme ces années là, attentionnés, gentils, même au dela du raisonable pour certaines.

Il me faisait pitié. C’est la maman qui parle, pas le professeur. En tant que prof je n’aurais pas due agir ainsi. Mais comment ne pas fondre devant ce petit bonhomme perdu et qui pleurait toutes les larmes de son corps à longueur de journée. Je ne pouvais pas le supporter. J’essayais de le consoler du mieux que je pouvais, et sans trop le montrer aussi pour ne pas qu’il passe pour le chouchou. Rien n’y faisait. Alors un soir, après une journée particulièrement éprouvante pour lui, comme pour moi, j’ai craquer et j’ai écris à ses parents. Je ne me souviens plus de ce que j’ai mis dans cette lettre dans les détails. Je leur parlais de leur fils qui pleurait tout le temps et que ça me faisait mal au coeur. Je leur disais que ça ne pouvait pas continuer comme ça, qu’il allait gâcher son année et qu’il y avait des moyens de faire cesser les larmes. Je ne leur proposais pas de le sortir du collège mais de lui faire quitter l’internat puisque c’était surtout cette situation qui lui était pénible. La solution que je leur proposais c’était de me le confier pendant la semaine. Je sais que c’était un peu too much, mais je ne voyait pas comment faire autrement. J’ai rencontré sa maman quelques temps après. Elle n’était pas en colère mais elle m’a bien fait comprendre que c’était elle sa mère, et qu’il était hors de question que je prenne le relais pendant la semaine. Elle m’a remercié de ma gentillesse. Elle savait que ça se passait mal, elle le vivait aussi, mais il fallait qu’il se fasse à cette situation parce qu’il n’y en aurait pas d’autre, du moins cette année. Je savais qu’elle avait raison. Maintenant je croise un grand jeune homme qui à l’air de s’être bien remis de cette année de sixième, même s’il à toujours cette trace de tristesse au fond des yeux.

Il m’a fallut du temps avant de pouvoir regarder les profs dans les yeux, et leur parler autrement qu’en murmurant. Le temps de me rendre compte que je n’étais plus leur élève, que j’avais grandi, et que nous étions à présent du même côté de la barrière. La présence d’autres enseignants plus jeune, du moins de ma génération à peu de chose prés a aidé dans le processus. Les profs n’étaient pas ses êtres tout puissant dépositaires du savoir qu’il fallait traiter avec déférence. Ils étaient comme moi, et parfois pire que moi. Cette révélation ne me détendis un peu, je pus leur adresser la parole en dehors du cadre de mes fonctions, et même tutoyer certains. Ce qui fut le plus difficile, j’ai toujours eu du mal avec le tutoiement. C’est une des choses qui me fait regretter de ne pas être anglais, au moins eux ne se compliquent pas la vie.

Tu me faisais rire avec ton vouvoiement. Qaudn tu rencontrais quelqu’un pour la première fois tu ne lui disait jamais tu, même s’il avait notre age. Déjà au lycée tu agissait comme ça. Avec moi aussi. Ça n’a pas duré longtemps, au bout de deux fois je t’ai dis de me dire tu et de m’appeler Marc. Certains de nos camarades de classe aimaient bien que tu leur donne du vous et ça faisais sourire les profs quand ils t’entendaient nous parler comme ça. C’était encore une façon pour toi de garder les autres à distance. Je voyais bien qu’avec certains ce vous revêtais une autre signification. a la façon dont tu disais vous à certains profs on sentait qu’il y avait un profond respect, voire pour certain une pointe d’affection. C’était clair avec “mamie”, la prof d’arts plastique. Pour tout le monde c’était une prof sympa, avec qui on pouvait faire tout ce que l’on voulait, il n’y avait pas de méchanceté, on le respectais même si on la chahutais plus que d’autres. En dehors de ses cours quand on la croisait dans les couloirs on lui disait bonjour mamie, elle ne s’en offusquait pas, au contraire elle semblait apprecier. Toi tu lui disait bonjour madame avec dans la voix un je ne sais quoi qui renait ces simples parole très forte. Il y avait quelques enseignants avec qui tu te comportais ainsi. Et les autres avec lesquels tu participais à mes blagues pendant leurs cours, comme lire un texte avec la voix de Guy Lux, tu l’imitais bien à l’époque.

Je resterais toujours le petit garçon de onze ans débarquant de sa campagne

4 - M'man

Tu as toujours été plus proche de ta mère que de moi. C’est souvent le cas. Les fils sont proches de leur mère, les filles de leur père. Je n’étais pas souvent là. Je partais tôt le matin, rentrait tard le soir. Un père pas absent, mais pas vraiment présent non plus. En plus, je ne suis pas expansif. Je ne montre pas mes sentiments. Je suis pudique. Pour ça tu me ressembles. Tu peux passer du temps avec ta mère, la faire tourner en bourrique, tu ne la prendras jamais dans tes bras. Elle est obligée de t’arracher des bises. Comme à moi tu ne lui as jamais dis je t’aime.
Cette différence de rapport était manifeste quand nous t’amenions au collège. Le lundi matin je t’accompagnais. Tu ne pleurais pas devant moi. Tu ne me faisais pas de scène. avec ta mère c’était toute autre chose. Quand elle rentrait le mercredi soir elle était anéantie. Tu lui avais fait ton numéro. avec larmes, cris et tout le tremblement. Il fallait que je la raisonne, lui remonte le moral. Ces soirs-là, elle était prête à te retirer de l’internat, pour éviter d'avoir à revivre une nouvelle fois la grande scène du III. Elle reprenait à peine le dessus quand elle t’appelait. Et toi tu en rajoutais une couche en pleurant au téléphone.

Je raccroche en soupirant. C’est la troisième fois qu’elle m’appelle cette semaine. Comme la semaine précédente, et celle d’avant, et d’avant... Pour ne rien me dire en plus. Savoir si j’allais bien, si je n’avais pas eu trop chaud, ou trop froid, si le boulot n’était pas trop dur... Je ne lui ai pas dit ce qui s’était passé les premiers jours. Elle serait venue mettre une raclée à tous ses petits morveux qui m’avaient mené la vie dure. Après m’avoir fait son numéro habituel de mère juive qui s’inquiète pour un rien, qui protège son fils, la prunelle de ses yeux, la chair de sa chair.
C’est sûr que si elle ne s’était pas inquiétée autant pour moi je ne serais sans doute plus là pour l’envoyer gentiment balader quand elle me harcèle au téléphone. Je devrais être plus reconnaissant. Son instinct maternel a senti qu’il fallait qu’elle vienne me sauver.
Ça ne lui donne pas pour autant le droit de m'appeler tous les jours. Je ne lui dirais pas directement, mais je vais lui faire comprendre. Avec ma subtilité légendaire.

Je sais que tu me traites de mère juive. Au début ça ne me faisait pas plaisir. Maintenant j’en ris. Ça doit être ta façon à toi de me dire que tu m’aimes. Je sais que tu ne me le diras jamais directement. Tu es comme ton père: pas de démonstration, tout en retenue. Tu étais pourtant capable de me prendre dans tes bras avant. Tu passais des heures sur mes genoux, à me couvrir de baisers. Je regrette cette époque. Bien sûr il faut laisser ses enfants grandir, mais tout de même de temps en temps j’aimerais que tu retrouves tes habitudes d’autrefois. Aujourd’hui tes marques d’affection se limitent au strict minimum, un bisou le matin, un autre le soir. Quand je tente de t’en soutirer d’autre, c’est comme si je t’agressais. Ça me fait mal au coeur. Je suis ta mère tout de même. Et même si tu as grandi, tu es toujours mon bébé. Tu peux faire la tête autant que tu veux c’est comme ça, tu resteras pour toujours mon titou. C’est comme ça une mère juive.

Je lui en faisais voir à ma mère. Quand elle venait me sortir le mercredi après midi. Au début tout se passait bien. Trop content de m’échapper provisoirement de ma prison. D'abord, elle m’amenait au cinéma. C’est de cette époque que date ma cinéphilie. Les films que nous allions voir n’étaient pas des oeuvres impérissables du patrimoine cinématographique mondial. Je me suis tapé, et j’ai imposé à ma mère, de magnifiques navets, des nanars d’anthologie. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à apprécier le cinéma comme un art. À force de fréquenter les salles obscures pour y retrouver cette sensation de sérénité que j’avais éprouvé à l’époque où j’y allais avec ma mère.
Après le film nous allions nous promener dans les rues, nous faisions les boutiques, ce genre de choses sans intérêt. Tout se compliquait après le passage par le salon de thé. Ah le salon de thé, prestigieuse adresse d’un pâtissier chocolatier bordelais. J’y dégustais un chocolat chaud crémeux, épais, onctueux, en engloutissant des gâteaux fabuleux à m’en rendre malade.
Je savais que cette pause goûter et goûteuse était l’avant-dernière étape de notre escapade avant le retour à l’internat. Je traînais les pieds sur le chemin du retour, faisais la gueule pendant que ma mère s’achetait son repas du soir chez le traiteur. Elle tentait de me dérider en m’achetant quelques douceurs supplémentaires mais rien n’y faisait.
Le pire était à venir. La grande scène du retour. Les larmes, les cris, je m’accrochais à la portière de la voiture, au portail pour ne pas rentrer. Je me serais jeté sous une voiture pour éviter de retourner derrière les grilles de ma prison. Tout ce qu’elle a du endurer.
Aujourd’hui je continu à lui en faire voir. Plus de crise de nerfs, d’hysterie, juste quelques blagues. Je la mène en bateau, lui raconte des histoires à dormir debout qu’elle croit parce que tout ce que lui raconte son fils est parole d’évangile.

Ah ta mère! Tu m’en parlais souvent. Je l’avais vu quelques fois le vendredi quand elle venait te chercher. Elle me disait bonjour mais je ne l’ai vraiment rencontré que quand tu m’as invité à passer quelques jours chez toi. Tu m’avais prévenu de ce qui m’attendais et tu ne m’avais pas menti.
Quand tu lui as annoncé que tu m’avais invité elle a commencé à paniquer. Où allais je dormir, il n’y avait plus de chambre ‘d'ami depuis qu’elle avait été transformé en bureau, heureusement que dans ta chambre il y avait des lits jumeaux. il fallait qu’elle change les draps, qu’elle fasse le ménage à fond. Et la cuisine. Est ce que j’aimais tout, il ne fallait pas qu’elle prépare un plat que je ne mangerais pas. C’était pour elle toute une organisation. Elle n’en aurait pas fait plus si elle avait eu a recevoir la reine d'Angleterre, le roi d’Espagne ou le président de la république (quoique vu ce que tu m’avais raconté sur ses opinions politiques il n’est pas sur que François Mitterrand fut aussi bien reçu) je ne savais pas s’il fallait que je m’inquiète ou que je me réjouisse de tout cela.
J’ai passé trois jours formidables après la séance d’interrogatoire, d’où je venais, ce que faisais mas parents, mes frères et soeurs, ce que je voulais faire dans la vie,... Une petit moment désagréable en prélude au meilleur. Il y avait sur la table a chaque repas de quoi nourrir un régiment. Et pas comme chez moi des plats tout fait, surgelé ou dans les grandes occasion venant de chez le traiteur. Uniquement des plats fait maison. Ta mère se levait aux aurores pour tout préparer, passant des heures dans sa cuisine pour que tout soit parfait.
Elle était aux petits soins avec moi, s’inquiétant de tout, mon sommeil, mon appétit, ma santé. Telle que tu me l’avais décrit: une mère poule, une mère juive.
Quand je croisais ta mère sur le trottoir devant le lycée je lui sautais au cou et l’embrassait avec force sur les joues. Elle éclatait de rire et te prenais à parti, pourquoi est ce que tu n’étais pas comme ça avec elle, il fallait que ce soit un “étranger” qui fasse preuve d’affection pour elle. Si c’était pas une honte.
J’ai toujours pris plaisir à revenir chez toi. Apres que je me suis disputé avec mes parents elle est devenue une mère de substitution. Elle a été formidable avec moi. Tout le temps. Elle à eu un peu peur que je ne t’entraîne avec moi sur les rivages de l’homosexualité mais je’ lai rassuré très vite en lui disant que tu avais d’autres perversions. Elle en a rigolé. Quand j’ai su que j’étais positif c’est chez toi, avec tes parents que je l’ai pour la première fois dit à quelqu’un. Avant même de le dire à mes parents. Tu t’en souviens très bien. C’était un an après le bac. Elle à pleuré comme si j’étais son propre fils. Si tu savais la chance que tu as d’avoir une mère, des parents comme ça.

Je ne me souviens plus très précisément de comment les choses se sont passées. Quand j’ai été mieux je lui ai demandé, elle a juste répondu avec un petit sourire qu’une maman sait quand ses enfants vont mal. Une sorte de sixième sens, comme le super sens de Spider-Man en quelque sorte. Ma mère est un super héros et je ne le savais pas. Pourtant j’aurais du m’en douter. Il faut avoir des super pouvoirs pour abattre tout ce qu’elle abat comme boulot.
Comme un super héros elle est venue me sauver. Pas des griffes d’un super vilain ou d’un immeuble en flammes, mais de moi même. Elle est arrivé juste quand il fallait, quelques jours de plus et je ne sais pas ce qu’elle aurait trouvé. Elle m’a pris par la main et m’a tiré de mon trou.
Les mois qui ont suivi ont été difficiles pour elle. Me voir comme ça, devoir s’occuper de moi, de cette loque, être tout le temps derrière moi pour être sure que je n’allais pas faire une connerie. Je ne lui facilitais pas la tache. Elle n’a jamais baissé les bras. Elle est allé jusqu’au bout de son entreprise de reconstruction. Quand elle a vu qu’elle ne pouvait plus rien faire. Qu’elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir elle à su passer la main. Elle a vu qu’il fallait que je passe à autre chose.
Elle m’a pris par la main pour que j’écrive une lettre de candidature. Pour être sure qu’elle ne resterait pas dans un tiroir ou pire au fond de la poubelle elle l’a postée elle même, et elle a prié pour qu’il en sorte quelque chose de positif. Prière exaucée.
En plis d’être dotée de super pouvoir ma mère à une relation privilégiée avec Dieu. Elle est pas forte ma maman.

II - Ça sent le sapin

J’aime Noël. Je sais qu’il est de bon ton aujourd’hui de dire que l’on n’aime pas cette fête vendue aux marchands du temple et symbole éclatant de la victoire du capitaliste, de la marchandisation du monde et du consumérisme à outrance. Oui bien sur Noël comme toutes les fêtes est un moyen supplémentaire pour la Worl Company de nous vendre des choses dont nous n’avons pas vraiment besoin, pour l’industrie agro alimentaire d’écouler des stock, et pour Tino Rossi de faire un come back annuel. Et alors. Je sais tout ça. J’en ai pleinement conscience, ça ne m'empêche pas d’aimer Noël.
J’aime les vacances de Noël, depuis toujours ce sont mes vacances préférés. Les vacances de Toussaint ne sont pas de vraie vacances, trop courte, les vacances d’hiver sont trop froide petit je détestais la montagne, aujourd’hui j’ai d’autres raison de ne pas aimer cette période de l’année. Les vacances d’été ne sont plus depuis longtemps des vacances. Il y a bien les vacances de printemps, le retour des beaux jours, les premiers bourgeons, et d’autres plaisirs. Mais Noël arrive en tête de mon classement.
J’aime les décorations dans les rues, les vitrines des grands magasins.
J’aime les chants de Noël avec une préférence pour les versions américaines qui swinguent plus que Jack Lantier et Tino Rossi.
J’aime les chocolats à m’en rendre malade, le foie gras à en être obèse.
J’aime le sapin dans le salon, les petites loupiotes qui clignotent.
J’aime les premiers froid qui nous font allumer la cheminée.
J’aime tous les préparatifs, les paquets cadeaux, faire la cuisine pendant toute une après midi, mettre le couvert sur la grande table de al salle à manger, sortir les couverts en argent et la vaisselle en porcelaine.
J’aime offrir des cadeaux, autant que j’aime en recevoir.
J’aime le repas de Noël, les gamins qui courent partout, les parents qui les grondent gentiment, les conversations banales sur la politique, le temps qu’il fait, le temps qui passe, les souvenirs cent fois entendue et qui font encore rire, les vins rouges profond dans lequel on plonge pour oublier le monde extérieur, les plats fabuleux préparé avec amour, les bulles de champagne qui s’amusent dans les replis du cerveau déjà bien atteint, la fumée du cigare qui monte et s’en va narguer Dieu, le cognac dans lequel les enfants trempent un sucre, et en fin de journée, quand tout le monde est parti, tout ranger, jeter dans la cheminée les miettes, faire le vide dans cette pièce si animée et se dire que c’était encore une fois une belle journée.
Noël est la seule fête que j'apprécie. J’ai horreur de toutes les autres. Je ne sors pas le soir de la saint sylvestre, j’évite les célébrations forcées, et surtout la foule. Noël c’est autre chose. C’est la famille, c’est le plaisir simple de se sentir malgré les années encore un enfant, oublier ne serait- ce que quelques heures tout le reste. Une journée, rien qu’une se couper vraiment de la vie telle qu’elle est et la voir telle qu’elle devrait être, telle que j’aimerais qu’elle soit.
Tout reprendra après. C’est l’équilibre de l’univers, un moment de bonheur, un moment de déprime.

5 - La fille tu sais

Pour la première fois depuis plus d’un an j’étais bien. Pas heureux. Il ne faut pas pousser. Loin encore de nager dans le bonheur. connaîtrais-je un jour cet état de félicité? En tout cas j’étais plus léger. En voie de guérison, de rémission. Je retrouvais le goût aux plaisirs simple de la vie. C’est toujours dans ces moments là qu’une tuile vous tombe sur le coin de la gueule.

Il me touchait. M’émouvait. Il n’était pas vraiment beau. Enfin pas de cette beauté qui vous éblouis. Il avait du charme. Mais ne le savait pas. Sinon il en aurait joué. Au contraire il restait en retrait timide jusqu’au bout des cheveux. Je l’avais vu pleurer souvent en 6°, mais à cet âge la les garçons ne nous intéressent pas encore. en grandissant il a gardé ce côté fragile. Il a éveillé mon penchant maternel. Je l’ai pris par la main. C’était au moment de Noël. J’étais son père Noël secret. Je lui ai offert son cadeau et j’a tenté de discuter avec lui. C’était difficile. Je crois qu’il n’a pas dit une phrase complète. Il m’a dit qu’il me trouvait mignonne. Comment résister. Je l’ai traîné dans l’allée interdite. Il ne l’aurait pas fait. Il fallait que je prenne l’initiative. Mon premier baiser. Le sien aussi. Ça n’a pas duré longtemps entre nous. J’étais trop jeune pour jouer les mères de substitution.

Quand L m’a quitté je cru que je n’arriverais jamais à m’en remettre, que j’allais retomber, encore plus bas que la dernière fois. Mais ne brûlons pas les étapes.
J’aurais voulu rencontrer la femme de ma vie dans des circonstances sinon extraordinaires du moins originales. J’imaginais que je rencontrerais une filles dans la rue, elle me serait rentré dedans en courant pour attraper un bus, elle m’aurait renversé sur le trottoir, se serait excusé en m’offrant un verre et s’aurait été le début d’une splendide histoire d’amour.

Avoues que je t’ai bien aidé avec Diane. Bon d’accord ton charme naturel aurait pu emballer la belle mais tu aurais ramé grave. C’est moi qui t’ai changé. De la vulgaire chenille, pas moche mais quand même pas top, en papillon. Non je n’ai pas procédé à de la chirurgie esthétique. J’ai juste révélé l’homme subtil, intelligent et drôle que tu cachais soigneusement. Inutile de me remercier c’est fait pour ça les amis.
En dehors de cette opération quasi miraculeuse c’est quand même moi qui ai lancé l’idée des équipes de soutien entre élèves. Si je n’avais pas mis cette idée dans la tête des profs tu aurais pu rêver longtemps sur sa nuque. C’est bien un truc à toi de fantasmer sur les nuques des filles. Y e a qui font des fixations sur les jambes, les seins, les yeux. Il faut toujours que tu te distingue. Quoi qu’il en soit le soutien de biologie t’a bien aidé avec Diane. Au moins pour te retrouver seul avec elle et lui parler. Après c’est toi qui a su jouer de tes atouts. Je suis pas mécontent d’avoir joué les entremetteur. Vous formiez un joli couple. qui a quand même duré plus d’un an. Jusqu’à ce que le bac vous sépare.

Je ne sais pas comment j’ai séduit L. ce coup ci ce ne fut pas mes compétences en biologie, ou mon ami entremetteur. Mais sait on jamais pourquoi? J’étais là, elle était là et nos regards se sont croisé, le reste...

Il arrivait tôt. Plus tôt que moi. Je suis toujours en avance mais tu me battais. Il faut dire qu’il habitait juste à côté. C’était plus facile. Quoi que en y réfléchissant bien on aurait pu imaginer qu’il serait arrivé juste à l’heure. Ce n’est pas le sujet. Il asseyait à l’autre bout du banc devant l’amphi. Comme nous étions pratiquement les seuls nous nous sommes peu à peu rapprochés. Bon Audiard nous a aidé un peu aussi. Il lisait un recueil de ses répliques et de ses textes. En le voyant j’ai réciter des extraits des Tontons Flingueurs. Il a été stupéfait. Est-il possible de baser une relation sur un dialogue de film aussi culte soit il? E tout cas c’est ce que nous avons fait. Audiard joua le rôle inattendu de cupidon. Je l’aimais bien. J’aime à croire que c’était réciproque. Je ne sais pas combien de temps notre histoire aurait duré s’il n’avait pas échoué au concours de fin d’année de médecine alors que je le réussis. Fin d’une histoire pour cause de numerus clausus.


Régulièrement je voyais L. manger au resto U à quelques tables de la mienne, la tête toujours penchée dans des bouquins, des cours, un magazine, un journal. Régulièrement elle laissait tomber dans ces pages un morceau de viande, une frite, des petits pois, de la crème à la vanille. Elle essayait alors de nettoyer ses bêtises avec ce qui lui tombait sous la main. Un jour elle s’est servie de mon pull que j’avais posé sur une chaise à côté d’elle. Il s’est retrouvé couvert de mayonnaise et de ketchup. L. confuse de son geste s’est confondue en excuses, m’a proposée de me le laver. Malgré mes protestations elle a fini par l’emporter. Par chance il ne faisait pas trop froid ce jour là.
Il s’est écoulé un bon mois avant que je ne récupère mon vêtement. A chaque fois que je croisais L. dans les couloirs elle s’excusait, répondait qu’elle n’avait pas encore eu le temps de le passer à al machine, qu’elle allait le faire le soir même... Au bout d’un moment j’ai fini par perdre espoir de revoir un jour mon pull. Ce n’était qu’un pull après tout, je pouvais en acheter un autre, et puis ce n’était pas le seul que j’avais dans mon armoire.

Si tu avais vu ton pull après son passage dans la machine à laver. Il aurait été parfait pour un nouveau né, mais pour toi même après un régime draconien c’était râpé. J’étais gêné. Comment peut on être aussi bête. J’avais tellement honte que j’ai fini par t’en racheter un. J’ai cherché à trouver le même, en vain. J’ai trouvé quelque chose s’en approchant, pas trop moche. Tu as été surpris de me voir arriver avec un paquet. Tu as rigolé en l’ouvrant. Tu ne t’attendait pas à revoir ton pull.
Tu as tenu à m’inviter boire un verre pour me remercier. Avant même que j’ai pu boire une goutte de ma bière elle s’est retrouvée sur ton pantalon. C’est sur ma maladresse qu’a débuté notre histoire.
Tu m’as fait découvrir Woody Allen et m’appelais Annie Hall. J’aimais ça, même si je ne ressemble pas du tout à Diane Keaton. Je ne t’ai jamais fait traverse la ville au milieu de la nuit pour écraser une araignée dans mes toilettes, mais pas loin. Nous sommes resté cinq ans ensemble. J’ai cru que nous finirions par finir ensemble, en vieux couple. J’oubliais que Alvy et Annie finissent par se séparer.

Un coup de fil peut sauver une vie, et tuer un couple. L. était sous la douche quand son portable a sonné. J’ai répondu; C’était un homme, un certain M.. J’ai pensé que c’était un collègue de travail que je ne connaissait pas. J’ai pris un message, juste qu’elle le rappelle quand elle pourrait. Rien de terrible, même parfaitement innocent. L. est sortie de la douche. Je lui ai transmit le message. Je n’ai pas compris pourquoi elle est devenue blême. Qui était ce M.? Elle n’a rien dit. J’ai reposé ma question. Elle s’est assise. A passé sa main dans ses cheveux pour les glisser derrière ses oreilles, ce geste que j’aime tant. Elle ouvert la bouche mais n’a rien dit. Elle a commencé à pleurer. J’ai enfilé un manteau et je suis sorti en lui disant que je ne souhaitais pas la voir chez moi en rentrant.

Je suis partie. Comment t’expliquer ça sans te faire mal. Ce n’est pas facile. Ce n’est pas que je ne t’aime plus. J’ai rencontré quelqu’un d’autre. Pas mieux, diffèrent. Tout ce que je pourrais trouver pour t’expliquer ne serait que des lieux commun, des phrases creuses. Tout ce que tu déteste. Je ne peux pas te faire ça. Je suis partie. J’ai glisse la clef de chez toi, celle que tu m’avais donné pour notre anniversaire de trois mois, dans ta boite aux lettres. J’aurais pu te laisser un mot aussi. L’aurais tu lu? Tu n’étais pas dans de bonnes dispositions pour écouter ou lire quoi que ce soit venant de moi. Il fallait laisser passer un peu de temps.

L. n’était plus là à mon retour. Nous nous sommes revus en terrain neutre quelques jours plus tard. La grande explication. La voix serré elle a commencé à ma raconter son aventure avec M., ce séjour à Paris avec lui deux mois avant, lors de la conférences sur je ne sais plus quoi. Leur première nuit ensemble dans cet hôtel sordide. Toute son histoire banale de tromperie même pas conjugale. Je n’ai pas voulu entendre la suite. Elle ne voulait pas me faire mal, pas après ce que j’avais vécu l’année précédente, pas au moment ou je commençait à aller mieux, mais on ne commande pas ce genre de choses, elles viennent sans que l’on puisse rien faire. Je n’ai pas dit grand chose. Il valait mieux j’aurais pu être vulgaire, méchant, agressif. Je ne voulais pas avoir le mauvais rôle. Je lui ai dit que je ne comprenais pas (J’aurais voulu lui arraché ses cheveux magnifiques) mais que j’acceptais (je lui aurais crevé ses yeux hypnotiques) et qu’il valait mieux que l’on se quitte en bon terme (je lui aurais dévasté son doux visage à coup de griffes).

J’ai eu peur. Peur que tous les progrès que j’avais pu faire ne retombe à néant, surtout que l’on approchait de cette période de l’année où mes fantômes resurgissent et où la dépression n’est pas loin. C’est bon signe d’avoir peur de ce genre de chose. Ça doit vouloir dire que ça va mieux. Qu’on a trouvé quelque chose à quoi se raccrocher. Mais merde pourquoi je ne peux pas être tranquille. Pourquoi je ne peux pas être heureux. Simplement. Trouver l’équilibre dont j’ai besoin. Dont tout le monde à besoin. Pourquoi je n’y ai pas droit. Pourquoi au lieu de ça je dois dormir tout seul. Je lui avais dis un jour que les filles ne sont pas faites pour dormir seules, elles ont trop froid sinon. Merde moi aussi j’ai froid.

6 - Une dépression d’hiver

Depuis toujours j’ai détesté le mois de février. Ce n’est pas lié à l’ambiance de ce mois au ciel gris, au froid piquant, et où jamais le printemps ne se fait plus attendre. Gamin c’était le mois triste par excellence. Noël est déjà moins qu’un souvenir et l’été juste une éventualité. Depuis quelques années ce sentiment est renforcée par des circonstances qui n’ont rien à voir avec le climat.

Tu venais chaque jour. avant ou après tes cours. Au début quand il était encore conscient il te demandais ce que tu avais fais de ta journée, tu parlais de tes, de vos profs. Parfois tu arrivais à la faire rire. dans ses journées de douleur c’était une oasis. Vous n’étiez pas nombreux à venir le voir. Je n’ai jamais vu ses parents.
Quand il est tombé dans le coma tu as continué à venir alors que les autres ont abandonné. Tu t’asseyais à côté de son lit et tu lui lisais tes notes, le journal, ou un bouquin. Un soir tu es arrivé plus tard que d’habitude, presqu’à l’heure de fin des visites. Je n’ai rien dis quand tu t’es endormis. J’aurais du te faire partir, mais je n’ai pas osé. J’ai tiré la porte en espérant que personne ne passe et te découvre. Tu t’es réveillé vers deux heures. Je t’ai vu arrivé le visage chiffonné. Tu t’es accoudé au desk, tu t’es confondu en excuse. Avant que j’ai pu dire quoi que ce soit tu as fondu en larmes. Je t’ai fait asseoir. Tu m’as tout déballé. Vos années au collège, l’université, votre amitié, vos 400 coups, comment il a chopé cette saloperie, la réaction de sa famille. Tout et le reste. Je t’ai offert un café. Tu n’y as pas touché. Tu m’as demandé combien de temps il lui restait. Je t’ai dis ce que je savais. Tu n’a pas réagi. Tu m’as juste donné ton numéro de téléphone. Pour que je t’appelle le jour où...

Le réveil va sonner dans 30 minutes. J’ai passé la nuit à faire le décompte des heures qu’il me restait avant d’avoir à me lever. Nuit blanche à fixer le plafond. Je me suis levé trois fois pour boire. Une pour pisser. J’ai lu. J(ai refait le monde dans ma tête. J’ai imaginé comment serait ma vie aujourd'hui si... Je n’ai pas attendu la sonnerie. Je me suis levé j’ai commencé la journée comme si c’était un jour comme les autres

Je n’ai pas voulu t’appeler de suite. Il est mort à 3h34. Je ne m’imaginais pas t’annoncer cette nouvelle au milieu de la nuit. Ce n’est pas mon rôle de faire ce genre d’appel. Les médecins s’en chargent. Mais eux ils appellent la famille. Alors qu’ils n’étaient jamais venus. C’était toi qu’ils auraient du prévenir. Mais pas au milieu de la nuit. J’ai attendu 7h00. Je ne voulais pas te louper avant que tu partes en cours. Tu as décroché. Je t’ai dis: C’est fini. Tu as répondu: J’arrive. Et tu as raccroché.

Je suis parti de chez moi comme d’habitude. Il ne fallait pas que je pense trop à la date. Un an déjà. Un an depuis ce coup de téléphone de cette infirmière. Quand mon téléphone a sonné, quand j’ai appris la nouvelle la terre s’est ouverte sous mes pieds. J’ai posé le téléphone. Me suis assis par terre et j’ai pleuré. Pleuré en silence, les larmes coulaient toutes seules de mes yeux et venaient s’écraser sur le sol sans que je puisse rien y faire, j’était un robinet qui fuit.

Tu m’as vu m’en aller petit à petit, devenant physiquement l’ombre de moi même, ressemblant de plus en plus à ses corps décharnés que l’on voit dans les documentaires sur les camps de la mort. Et pourtant pratiquement jusqu’au dernier instant tu arrivais à rire avec moi.
C’est sans doute pour ça que les dernières semaines furent si éprouvantes pour toi. A un moment ce fut mon esprit qui s’est enfui, après que tout le reste soit parti. Quand tu me rendais visite, presque tous les jours, tu ne trouvais plus dans mes yeux cette petite lumière espiègle, cette étincelle d’intelligence, ce lueur maligne que nous avions en commun. Ce qui a fait que nous avons été amis, meilleurs amis. Tu te demandais si je me rendais compte de ce qui m’entourait. Par vraiment, pas comme avant. Un soir en partant je t’ai surpris à te demandé si tout cela devais continuer. Si tout ne serais pas plus simple si je partais pour de bon. Tout deviendrait bien plus facile à vivre. Moins douloureux. Douloureux pour qui, toi ou moi?

Il ne restait plus que son corps sur le lit. Il n’y avait plus tout l’équipement médical, appareillage complexe, tube divers , perfusion de toute sorte. Il était de nouveau seul,en dehors de ce qui fut pendant des mois un sorte de jungle de plastique. Il était là devant moi, plus qu’un corps. Tout ce qui avait été lui était parti. Plus rien que de la chair et des os, et encore si peu de chair.
Après avoir remplis toute la paperasse administrative, contacté les pompes funèbres, fait tout ce qu’il avait planifié pour ses obsèques, j’appelais ses parents. Leur fils venait de mourir et tout ce que je m’entendis répondre par son père ce fut un merci. Il n’y avait pas la moindre émotion dans sa voix, il ne me posa pas la moindre question sur la date des obsèques, ni sur rien d’autre. Il ne vint même pas à la crémation.

Tu avais l’air épuisé. Prés à t’effondrer de fatigue. Ton costume sombre renforçait cette impression. Tu faisais peine à voir. Ta mère et moi avions bien vu que tu n’allais pas bien. Tu parlais encore moins que d’habitude. Tu ne riais plus. Prendre tout en charge c’était peut être trop pour toi. Tu nous avais raconté l’histoire de Marc, ses parents qui ne lui parlaient plus depuis qu’il leur avait révélé son homosexualité. D'ailleurs avec ta mère nous avions pensé que vous étiez plus que des amis. Ce n’était pas le cas. Pa que ça nous aurait dérangé mais bon... Enfin tout ça pour dire qu’au début je trouvais très bien tout ce que tu faisais pour lui. Mais quand tu as passé tout ton temps libre, que tu as perdu du poids, que tu n’étais plus aussi assidu qu’avant à tes cours j’ai commencé à avoir peur. Je n’osais rien te dire. ta mère avait tenté un truc une fois mais tu l’avais envoyé chier, alors j’ai gardé ça pour moi. Ta mère a voulu t’inviter à manger après la cérémonie mais tu as préféré aller avec tes potes. C’est normal. J’espère qu’ils vont de changer les idées. il ne faut pas que tu rumine trop longtemps toute cette histoire.

Je reparti avec une urne ridicule. Tout ce qu’il restait de lui c’était ces quelques cendres. Comme il me l’avait demandé je les répandais sur la plage. C’était le 21 février. J’était arrivé au bout d’un marathon, épuisé, lessivé, anéanti. Ce qui suivit en fut la conséquence directe.
Un an après je m’étonne d’être en vie. Ouvrir chaque jour les yeux sur le monde. Être poussé au cul par des ados turbulents. Peu à peu reprendre le fil du jeu. Se voir dans le glace, ne pas se reconnaître. Retrouver le goût de manger, juste ça au début. Puis celui d’être propre, de s’habiller, de voir du monde, de parler. Retrouver l’usage de la parole, mettre des mots sur la douleur, les partager. Remonter pas à pas. Enfin recevoir le dernier coup de pied au cul, celui qui remet les idées en place, fait reprendre une place dans le monde réel.
Je tente de ne pas trop laisser paraître mon état d’esprit tout au long de cette journée anniversaire. Je la traverse en essayant de ne pas trop y penser. Il serait tellement facile de retomber. De revivre une dépression.
Cette dépression d’hiver, cette lente plongée dans le rien. Ça commence par un étrange sentiment le matin, un goût dans la bouche qui ne veut pas s’en aller. On fait comme tous les jours d’avant, machinalement, dans un brouillard qui vous empêche de voir plus loin que la minute qui suit. Aller à la fac, comme d’habitude, s’asseoir sur le banc, à la même place, écouter le prof débiter son cours, avoir l’esprit accroché par une phrase, penser à une connerie, se tourner pour la partager, et ne rien trouver. Le brouillard se lève alors sur le vide qu’il reste, qu’il laisse.
Vivre de cette façon pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, avec chaque matin plus que le précédent ce manque d’envie. Un jour y céder, ne pas sortir, rester chez soi, et commencer la descente. Ne plus avoir envie de sortir, de se laver, de s’habiller, de se lever, de penser, de respirer, de vivre. Le monde n’existe plus en dehors des quatre murs de son appartement, alors prendre un décision, la seule depuis longtemps,ne plus exister pour le monde.

Je t’ai retrouvé méconnaissable. Sale, amaigri, barbu. Une loque. Tu n’étais plus mon fils. Juste son ombre. Je n’ai pas regardé la désordre., la poussière, la vaisselle accumulée, la poubelle qui débordait. J’ai attrapé des vêtements a peu près propre. Je t’ai sorti du lit, passé sous la douche habille. Tu n’as pas opposé la moindre résistance. Tu n’étais plus capable de la moindre réaction. Je t’ai pris par la main pour te sortir de là. Même si ça ne te sortirais pas de ton état au moins je serais là pour te surveiller, te nourrir, te forcer à te bouger un peu, éviter que tu ne fasse une bêtise.

III - I’m Gonna Live ‘till I Die

L’oisiveté est mère de tous les vices. Quand on passe des heures allongé à fixer le plafond l’esprit vagabonde, s’aventure dans des contrées inconnue. Quand tout va bien il joue avec les ombres, cherches des animaux fantastiques, comlpose des poemes, s’amuse. Quand tout va mal, quand la position allongée est une conséquence d’une dépression l’esprit n’a pas le coeur à s’amuser d’un rien.
Il ne cherche plus les animaux fantastiques mais la meilleure façon d’en finir, le meilleur moyen de se suicider.

La pendaison. Un classique. avec la ceinture de la robe de chambre. Montrons nous imaginatif, détournons l’suge premeir de cette accesoire vestimentaire pour en faire un instrument letal. Ecologiste jusqu’au bout dans l’art du recyclage. La poutre de la cuisine semble assez resistante pour supporter mon poid bientôt mort. Le seul problème c’est qu’elle n’est pas assez élevée, ou je suis trop grand.

L’arme à feu. Certes c’est efficace quoiqu’un peu sallissant. Tant pis ce ne sera pas à moi de netoyer. Seul soucis je n’en ai pas et il est plus difficle d’en acheter une ici qu’outre Atlantique. Pourquoi ne suis je mas américain?

Se tailler les veines. Très décadent. Très Rome antique. Dans quel film peut on voir une scene dans laquelle un type se tranche les veines à la fin d’un repas dezvant tous ses convives qui ne semblent pas s’en offusquer? Je serais plus modeste. Je ferais ça dans ma douche pour ne pas en mettre partout. Avec une lame de cutter. Une incision bien nette, dans le sens de la longueur, pas en travrs du poignet. Petite astuce apprise sur les bancs de la fac de médecine. Il faut bien que ces deux années servent zu moins un peu. Tout ça est bien beau mais je sais que je tremblerais comme une feuille au moment fatidique.

Le saut de l’ange. Monter au dernier étage de l’immeuble et sauter dans le vide. Voir defiler les 30 ou 40 metres qui me séparent du sol en quelques econdes. Voir la mort venir comme dans un zoom. Croire pendant un instant que je suis capable de voler avant de m’écraser. Malgré la hauteur il reste le risque de se rater et de n’être qu’handicapé.

Les cachetons. La méthode moderne. Autant vivre avec son temps. En plus c’est propre. Médicalisé en quelque sorte. Prendre toutes les pilules de l’armoire a pharmacie, s’en faire un cocktail d’enfer. Mieux qu’un daiquiri, plus puissant qu’une tequilla sunrise, meilleur qu’une margarita. Et sans risquer la geule de bois le lendemain matin puisqu’il n’y a pas de lendemain. Voilà la solution. Dormir et ne plus jamais se reveiller. Rever jusqu’à la fin des temps et même après.

Pour faire les choses comme il faut, dans les regles, écrire un mot d’adieu. Quelques lignes bien troussées pour ceux qui restent. Ça pourrait être un truc qui commencerait comme ça:
“Mes chers parents je pars. Je vous aime mais je pars. Vous n'aurez plus d'enfant ce soir. Je n'e m'enfuis pas je vole...”
Etre fidèle à moi même jusqu’au bout en allant chercher les mots d’une chanson pour m’exprimer. Je continuerais en disant que j’en ai marre de la vie, que tout me pese trop, que je n’espère plus rien de bon, de bien, que tout est trop noir et que j’ai décidé d’y plonger une bonne fois pour toute.. Plonger pour ne plus être triste, pour ne plus avoir à supporter la soufrrance, cette douluer qui m’enpeche d’avance depuis que... Leur dire qu’ils n’ont pas en s’en vouloir. Qu’ils ont toujours été de bons ,de très bons parents. Je n’aurais pas pu en trouver de meilleurs. Ce n’est pas de leur faute. C’est de la faute à la vie qui n’est qu’une salope. Je n’ai jamais su me battre alors encore une fois je joue les laches et je fuis le combat contre elle. C’est une belle epitaphe: “Il n’est pas mort, il a fuit le combat.”

7 - Comme d’habitude

Chronologie de la journée d’un BOS
7h30: Prendre le courrier en salle des profs
Ouvrir le BOS
Prévoir mes annonces à faire dans la journée
Arrivée des élèves (mot d’autorisation, commencer à les gérer -> préparer les mots)
Lire le cahier de liaison
Traiter les infos notamment la feuille navette
Regarder le planning pour anticiper “l’urgence”
7h45: Arrivé du 2° surveillant qui va sur le perron: il fait descendre mes élèves du perron et les fait se ranger derrière les lignes tracés au sol, ou devant les numéros de classe.

Je ne sais pas ce que je cherchais exactement en allant chaque jours travailler. Bien sur ce sentiment d’être encore quelqu’un de vivant. Il y a d’autres moyens de ressentir ce genre de chose. Les sports extrêmes, l’amour, ... Au début je pensais trouver une certaine stabilité. En lisant la description d’une journée de travail j’espérais rentrer dans une routine qui me ferais me sentir en sécurité.

8h00: Il veille à la montée des élèves avec leurs professeurs et soit reste sur la cour pour pointer les élèves, soit rejoint le BOS en passant par les couloirs des 5° 4°
Les élèves rentrent en cours
S’organiser avec les autres BOS. Prendre le poste prévu (cour-étude) sur le planning hebdomadaire
Faire les billets d’absence; Les reporter sur le registre des absences
Accueillir les élèves qui arrivent en retard. Signer leur carnet (s’ils ont moins d’un quart d’heure de retard ils vont en cours, sinon en étude) et noter l’heur d’arrivée sur le registre des absences.
Faire les pointages
8h55: 2° heure de cours
A chaque inter-cours aller dans les couloirs vérifier que ce soit calme et que les professeurs arrivent pour la 2° heur de cours
Finir les billets d’absence. Téléphoner aux parents des élèves absents en ayant bien vérifié avant que les élèves absents n’étaient pas soit en retard, soit à l’infirmerie etc...
Voir pour la surveillance de la cour, de l’étude à chaque heure

Tu aimais la routine, la régularité, l’ordre. La première chose que tu faisais en prenant “possession” de ton espace de travail dans la chambre à l’internat ce n’était pas comme nous d’accrocher des photos, des posters mais de décorer le mur avec l’emploi du temps. Tu utilisais des couleurs pour faire ressortir les differentes matières. Tu faisais même un décompte de nombre d’heures de chaque discipline. A côté tu accrochais un calendrier où tu notais les vacances, chaque petit événement. Enfin il y avait les horaires de l’internat: 7h levé. 7h20 petit déjeuné. 12h00 ouverture des chambres. 13h40 fermeture des chambres. 17h00 Pointage. 17h15 travail dans les chambres. 19h10 dîner. 20h15 pointage. 20h30 travail en chambre. 22h30 extinction des feux. Tout roulait quand cette belle organisation restait en l(état. si jamais un grain de sable grippait cet ensemble harmonieux tu angoissais. Ton bel univers s’effritait. Et par ricochet tu risquais de t’écrouler.

9h50: Récréation
Le BOS est fermé
Un surveillant va dans les couloirs, ferme les portes des classes à clé et fait sortir les élèves sur la cour.
L’autre surveillant va sur le perron
10h10: Fin de la récréation
Le surveillant qui était dans les couloirs regagne le BOS
Celui sur le perron fait ranger et monter les élèves: les 5° par le perron, les 4) par la “Sibérie”. Il suit les élèves et vérifie dans les couloirs que tous les professeurs sont bine arrivés en classe, ou reste sur la cour si des élèves sont à pointer.
11h05: Inter-cours
11h15 - 14h00: Chaque surveillant regarde quel poste il doit faire

On y passe souvent devant ce panneau d’affichage; Pas pour l’emploi du temps. en dépit de tout ce qu’on peut laisser croire on le connaît pas coeur à la longue. Tout ce qui nous intéresse se sont les croix sur les noms des profs. C’est plus gentil que d’espérer de voir les noms des profs sur des croix. Une croix=une heure de libre, en étude mais sans profs donc c’est mieux. L’idéal c’est la croix verte. Avec ça on peut arriver plus tard le matin ou partir plus tôt l'après midi. Le pied. Je ne sais pas pourquoi ça ne te fais pas plaisir. A toi comme aux autres pions. Nous on saute de joie, on hurle notre bonheur. Vous vous faites la gueule. Plus il y a des croix plus vous avez l’air accablé. C’est pourtant super chouette un prof absent. A croire que vous avez oublié que vous avez été élèves. C’est souvent que vous nous donnez cette impression. On perd vite la mémoire en vieillissant ou quoi.

13h30: Réouverture du BOS. Anticipation de l'après midi.
13h45: Début des cours de l’après-midi
Pointages
Faire billets d’absences (comme le matin)
S’organiser avec l’autre BOS pour la surveillance des études de l’après-midi
14h40: 2° heure de cours
Fin des billets d’absence (vérifier qu’on les a tous)
Téléphoner aux parents (en prenant les mêmes précautions que le matin)
15h35: Récréation (comme le matin un surveillant dans les couloirs, un surveillant sur le perron)
15h50: Fin de la récréation
16h45: Fin des cours
Veiller à ce que les élèves sortent dans le calme sans bousculade.
Faire le bilan de tous les cahiers d’absence. Aller chercher tous ceux qu’il est possible de trouver dans les classes
Comparer les cahiers et le registre des absences.
Mettre de nouveaux billets d’absence dans les cahiers
Faire le point sur les élèves qui n’ont pas dépointé. Préparer les convocations pour le lendemain
Bien ranger le BOS avant de partir
Actualiser l’affichage
17h15: Fin de la journée
Fermeture du BOS

J’espérais me reposer sur cette belle organisation. si les grandes lignes ne bougeaient que très peu, l’imprévu est le quotidien du BOS. Les emplois du temps parfait sont vite remis en cause quand les professeur sont absents. Les études fleurissent en toute saison. Il ne faut pas trop anticiper. Les organisations mises sur pieds, les beaux édifices s’écroulent vite quand les aléas surgissent. Tout est à refaire. en espérant que le nouveau plan d’action résistera plus longtemps que le précédent, que les surveillant ne tomberont pas eux aussi sous les coups de la maladies.
Dans cette belle chronologie il faudrait une note en bas de page, ou un avertissement qui ressemblerait à cela:
Toute ressemblance avec une journée existante ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

8 - I'm No Superman

Ce n’est pas la routine que j’ai trouvé. C’est tout autre chose. Quelque chose que je ne cherchais pas.
La solitude ça n’existe pas. C’est une belle phrase. Longtemps j’ai cru que c’était vrai. J’étais un solitaire, un ours dans sa tanière. Je n’avais besoin de personne, ni d’une Harley Davidson. Je pouvais me débrouiller tout seul. Personne autour de moi. Ma famille proche excepté. Pourquoi s’encombrer des autres. L’enfer c’est les autres comme disait l’autre, et il n’avait pas tort;
Gamin je jouais seul dans mon coin. Ma mère me poussait à jouer avec les autres mais très vite je revenais me réfugier dans ma chambre avec mes légos, mes playmobil et mes petites voitures. Je m’inventais un monde à moi où les autres n’avaient rien à faire.

On peut pas dire qu’il était sociable. La première année il passait plus de temps à pleurer qu’à parler aux autres. Au début il y en a qui ont tenté de le consoler. Ils ont vite renoncé. Il ne voulait pas les entendre, pas leur parler. Qu’est ce qu’on peut faire d’un type comme ça. Très vite on l’a catalogué dans les cas désespérés. Ceux qui ne finiraient pas l’année. soit parce que ses parents finiraient par venir le chercher, soit parce qu’il finirait pas mourir de déshydratation à force de chialer. Après cette première année les choses ont un peu changée. Il as du se résigner. fini les larmes. Mais pas beaucoup plus de mots. Il ne restait pas seul tout le temps mais ce n’est pas lui qui cherchait la compagnie des autres. Il traînait sur la cour en parlant tout seul, ou le plus souvent restait dans le salle de lecture à dévorer des B.D. Jamais il ne jouait avec les autres.

Je n’ai jamais eu d’amis avant... Je passais du temps avec les gens, les autres internes, les élèves de ma classe, mais je pouvais parfaitement me passer d’eux. Quel bénéfice pouvais-je tirer de ces gars? Ils me tenaient compagnie mais ne m’apportaient rien. Il m’a fallut longtemps avant d’avoir un ami. Un vrai. J’ai eu des camarades, des copains, puis Marc. La seule personne dont je peux dire: “Parce que c’était lui, parce que c’était moi.”
Il est difficile de comprendre ce que cela signifie vraiment avant d’avoir rencontré un véritable ami. Quelqu’un avec qui l’on peut tout partager. qui est là quand tout va mal comme quand tout va bien. Avec qui on peut passer des heures à parler de rien, de tout et d’autres choses, ou tout simplement rester à ne rien dire. Il n’y a pas de silences gênés entre amis. Le silence est une qualité que l’on ne peut apprécier que seul ou avec un ami. Marc était tout cela. Mon second frère, mon double, mon complément, mon lien avec le monde. Celui qui m’a fait sortir de ma tanière, découvrir la simplicité des rapports humains. Comment arriver à reprendre contact avec d’autres personnes s’il n’est plus là? Jamais je ne retrouverais ce que j’ai perdu. Et à quoi bon?

C’est ton privilège de faire parler les morts. C’est bien beau de faire monter les mots d’outre tombe, mais là il faut que je te dise plus crûment ce que je pense. Et ça ne va pas te faire plaisir. Il faut que tu arrêtes avec le passé. Il ne faut pas que tu viennes t’enfermer avec les morts. Heureusement que je n’ai pas de tombe tu y aurais passé tout ton temps, toute ta vie. Tu auras tout le temps de fréquenter les cimetières en temps voulu. Et ne tente pas de devancer l’appel. Si jamais on se retrouvais prématurément je ne te parlerais pas. Il faut que tu vives ta vie. Tu vois que ce n’est pas toujours un avantage de faire parler les morts. Ils peuvent te dire des choses qui ne font pas plaisir. Des choses que tu ne veux pas entendre. Tu es un idiot. Je me retiens au nom de notre amitié d’aller plus loin dans les injures mais tu as bien de la chance. Tu peux te morfondre dans ton coin. Retourner à ta solitude et broyer du noir à longueur de journée. Tu veux te détacher du monde des vivants? Tu as échouer une fois, qu’est ce qui te fais croire que tu peux y arriver maintenant. Tu aimerais que la vie se déroule comme un long fleuve tranquille. Ça risque de te faire un choc mais tu n’es pas dans un film. “Les films sont plus harmonieux que la vie. Dans les films il n’y a pas de temps morts. Les films sont comme des trains. Tu comprends . Des trains qui avancent dans la nuit.” Ça te parle ces mots, toi qui aime tellement les citations. Voilà mon vieux tout est dit. La vie ça fait mal. Tu prends des coups. Tu souffres. Tu pleures. Bien sur tu peux éviter ça. Il suffit que tu restes dans ton cocon. Tu attends que ça passe. Simplement ce n’est pas vivre, c’est survivre. Alors sors. Parles. Ris. Rencontres les gens. Tu prendras sûrement des coups. Tu auras probablement mal. Ey tu souffrira encore. C’est la seule certitude que tu peux avoir. Tu veux fermer ta porte définitivement? Ne soit pas idiot. Ta période de deuil est passée. Tu l’as dit toi même, tu avais besoin d’un bon coup de pied au cul. Ça sert à quoi d’être vivant si tu ne te lie pas avec ceux qui t’entourent. Fait tomber ce masque mortuaire. Il ne te va pas du tout. Montre que tu peux être drôle, intelligent, fin, spirituel. Montre que j’avais raison de t’avoir pour ami.

J’aurais bien voulu rester ce type taciturne. Celui qui ne parle pas, ne ris pas, n’est là que physiquement. Je maîtrisais bien ce rôle. Je ‘lavais tenu pendant plus de 15 ans. Il m’allait comme un gant. M’allait. Même si je veux le reprendre il me gêne aux entournures. J’ai changé. J’ai mûri. J’ai vieillis. Malgré tous mes efforts l’armure s’est fendue. Pouvait-il en être autrement. Il est facile d’être un solitaire quand on a pas besoin de compter sur les autres. J’était dans une autre configuration. J’étais un membre d’une équipe. Pas juste un élément perdu dans une masse. Ce n’est pas facile d’être anonyme quand on a besoin des autres. Parce qu’il n’est pas possible de sortir indemne de ce boulot si l’on ne peut pas communiquer avec les autres.

Ce n’est pas qu’il nous faisait peur, quoique. Les premiers temps il avait une tête terrible, pale, maigre. En plus il ne parlait pas. C’est dingue ça. Juste bonjour, bonsoir. Le strict minimum. Il faisait très sérieux. Le genre de gars qui ne rit jamais aux blagues même les plus drôles. Le gars chiant quoi. Il faisait comme une tache au milieu de la joyeuse équipe. Erreur grave. Il nous a bien trompé. Sous des dehors d’autiste il cachait un esprit affûté, capable de traits d’humour fulgurants, près à rire à la moindre occasion, doté d’une ironie mordante. Il voulait nous faire croire qu’il était infréquentable, un asocial de premier choix, alors qu’il est quelqu’un de très agréable, serviable, généreux, drôle, intelligent. Bon il ne faut pas exagérer non plus. Ce n’est pas un bout en train. Il garde ce côte renfermé. Cette distance. Il est difficile de le faire parler de lui. Au moins sérieusement. Il arrive toujours à changer de sujet, à s’en sortir par une pirouette, un mot d’esprit. Ça peut être très énervant à la longue.

Avec Marc nous passions de longues soirées à boire et à refaire le monde. C’est avec lui que j’ai appris à fumer le cigare. Depuis qu’il était parti je n’ai plus bu une goutte d’alcool, je n’ai plus fumé un havane. Jusqu’à une soirée avec mes collègues. Une drôle de soirée. Je n’étais pas très chaud pour y aller. J’aurais pu trouver une excuse minable pour me défiler. Sans doute à cause d’une petite voix au fond de ma tête je n’en ai rien fait. J’ai même fait un détour par un buraliste pour y acheter deux Roméo et Juliette. Ça me faisait drôle de sentir les deux tubes en aluminium au fond de ma poche en rejoignant la soirée. J’ai bu. J’ai fumé. J’ai retrouvé la douceur du champagne, le goût du tabac cubain. Mon cerveau baignait confortablement dans les vapeur d’alcool. Dans la fumée bleutée qui montait de mon barreau de chaise je revoyais les images d’hier. Sans prévenir tout a refait surface. Les bons et les mauvais souvenirs. Les digues que j’avais bâties se sont rompues. Tout est sorti. Je me foutais de savoir si quelqu’un m’écoutait, si tout était clair, ordonné, compréhensible. C’était resté trop longtemps à l’intérieur. Il fallait que ça jaillisse. quitte à éclabousser autour de moi des personnes qui n’avaient rien demandés. Dommages collatéraux. Quand j’ai eu tout déballé je me suis senti vidé. soulagé mais épuisé. J’aurais pu fondre en larmes. J’en senti une main se poser doucement sur mon épaule.

Tu vas mieux. Une mère ça voit ce genre de chose. Tu as repris du poids. Tu es moins gris. Plus gai. Tu recommences à te moquer de moi, à me faire tourner en bourrique. Je râles mais ça me fait plaisir. Tu recommences à rire, à sortir, Tu retourne au cinéma. Ça n’a l’air de rien mais moi je vois bien que ça fait une différence. Quand tu rentres le week end tu es fatigué. Tu te couches tôt, te lèves tard. C’est un peu comme avant, quand je t’ai récupéré après.. Mais cette fois ci je sais que tu dors, je t’entends ronfler. C’est une bonne fatigue. saine. J’ai même l’impression que tu as des copains au boulot. Oh je sais que tu ne retrouveras pas de sitôt un véritable ami, mais tu recommences à sortir de temps à autre. quand je t’appelle il arrive que tu ne sois pas chez toi, et j’entends parler et rire autour de toi. Si tu savais comme ça me fais plaisir de te voir de nouveau heureux. Je ne sais pas si tu l’es vraiment au moins tu n’es plus triste comme tu as pu l’être.

Je ne suis pas dans un dessin animé japonais qui marqua les jeunes téléspectateur de ma jeunnesse mais j’ai un petit air qui me trotte dans la tête: Comme dans tous les pays/On s'amuse, on pleure, on rit,/Il y a des méchants et des gentils/Et pour sortir des moments difficiles/Avoir des amis, c'est très utile. Il faut toujours que des chansons me viennent à l’esprit. Je suis une sorte de Martin Tupper musical. Lui voyait surgir des images en noir et blanc q’uil avait absorbé dans son enfance en passant trop de temps devant sa télé, moi ce sont des chansons populaires qui illlustrent ce que je ressens. Elle est niaise cette chanson de Candy. Pourtant c’est la seule qui me vienne spontanement. Ça doit vouloir dire quelque chose.

IV - Quatrième de couverture

Quand reviennent les beaux jours, aux premières heures d’un printemps, profitant des vacances, je retrouve le chemin d’un square oublié. Là, à l’abris de l’ombre propice d’un arbre majestueux dont j’ignore l’essence, je me plonge à nouveau dans les plaisirs simples et sans cesse renouvelés de la lecture.
Je n’ai pas toujours aimé lire. Quand j’étais jeune je lisais beaucoup. Ce que l’on lit à cet âge, la bibliothèque rose, la bibliothèque verte. Le club des 5, Fantomette, Le clan des 7 furent mes compagnons au moment d’aller au lit. Je dévorais aussi J’aime Lire. Par soucis d'équilibre politique j’étais abonné aussi bien au journal des jeunesses communiste, avec gadget, Pif, et au magazine des forces capitalistes triomphantes, Le Journal de Mickey. Tout était bon à lire. Puis je suis rentré au collège.
Là j’ai découvert la culture officielle. Ce que je lisais jusqu’alors n’en faisais pas parti. Il fallait lire Pagnol, Giono, Daudet. C’est depuis cette époque que j’ai horreur de la Provence et des écrivains méridionaux. Je n’avais pas lu Dumas, j’ignorais Hugo, la poésie m’était totalement inconnue. Complètement largué. La lecture n'était plus un plaisir mais une contrainte. Je ne lisais plus comme avant. Les classiques me tombaient des mains. Balzac m’ennuyait, Flaubert me saoulait, Mauppassant me faisait chier. Tout ces auteurs du panthéon littéraire français ont fait de gros dégâts. Les librairies me donnaient des boutons. Les livres me faisait peur. Seul dans le lot Hugo arrivait à trouver grâce à mes yeux, mais pas tout, seules quelques pages.
J’aurais pu devenir un de ces français qui sont fier de ne jamais lire autre chose que Télé 7 jours. Heureusement en terminale le français ne fait plus parti des cours inscrit à l’emploi du temps, et donc les livres ne sont plus imposés. Avec l’aide d’un guide efficace j’ai rencontré d’autres auteurs.
Marc m’a offert La Musique du Hasard de Paul Auster. J’ai retrouvé le plaisir de lire. Le même que je ressentais quand j’étais gamin. Cette piqûre de rappel m’a redonné le virus. Oui il existait des livres en dehors de ceux que l’on m’avait imposé pendant des années. Hors des grands classiques il y avait un salut.
Policier, SF, humour, il n’y avait que des livres, à découvrir, à dévorer, ou à laisser si l’on adhère pas. Auster fut la première victime de ma nouvelle boulimie de papier. J’ai lu tout ce qu’il avait publié à l’époque. Puis je suis passé à autre chose. Barjavel, Desproges, Christie, Asimov, Semprun, Tonino Benacquista... La liste est longue de ceux qui m’accompagnèrent, et m’accompagnent aujourd’hui.
Pendant de longs mois je n’avais plus ouvert un livre. Encore une fois les livres me laissaient froid. Je ne pouvais plus trouver dans ces pages du plaisir. Le monde réel me dégoûtais mais les fictions n’arrivait pas à me le faire oublier; Ou plutôt je savais que ce n’était qu’un oubli passager, je retrouverais avec encore plus de violence la réalité.
Ce printemps là en ouvrant des cartons j’ai ressortis des livres lus avant. En les feuilletant j’ai senti cette odeur familière du papier, de l’encre, de la poussière. J’ai attrapé un volume et je suis sorti.
Assis par terre je mesure le chemin parcouru. Non seulement je retrouve le plaisir de lire mais aussi celui de rêvasser. Sur le spectacle du printemps, les jours qui rallongent et les jupes qui raccourcissent, offrant à la vue de tous les jambes de filles, «Les jambes de femme sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tout sens et qui lui donnent son équilibre et son harmonie. », comme il fait beau et chaud elles sont nombreuses à passer, et repasser. Mon attention s’attarde sur une de ces passantes qui vient s’asseoir sur le banc en face de moi. Elle sort un livre, Flaubert Madame Bovary, elle glisse ses cheveux derrière son oreille d’un geste délicat. Avant de se plonger dans son livre, elle jette un regard par dessus celui-ci et sourit. Je le prends pour moi, pourquoi me priverais-je de ce petit plaisir. Le vent joue avec les plis de sa jupe, ses cheveux, je me complais dans ce spectacle. Une bourrasque lui arrache le livre des mains. Elle se penche pour le ramasser, et m’offre encore plus à voir.
Je referme mon livre. Je rentre chez moi. Je décroche le téléphone. J’ai décidé d’annuler ma prochaine séance chez le psy. Celle à venir et toutes les autres. Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir. Je ne suis pas sur d’être guéris. Je ne le serais sans doute jamais. Mais je n’ai plus besoin de lui. J’ai mes livres, mes films, et tout le reste. Ça me suffit pour avancer.